4e dimanche de Carême A

L’illumination de l’Aveugle-né

Homélie, 4e dimanche de Carême A

Dimanche dernier, Jésus était amené à dévoiler son identité messianique à une Samaritaine, c’est-à-dire à une personne hérétique méprisée des juifs fidèles au Temple de Jérusalem. Aujourd’hui, Jésus se révèle à un aveugle de naissance, à « un homme soi-disant tout entier plongé dans le péché depuis sa naissance » et méprisé par les autorités religieuses. Ces "gens de rien", la Samaritaine et l’aveugle-né, ont été capables de reconnaître en Jésus le Messie attendu par Israël tandis que ceux qui se prévalaient de leur science n’ont pas été en mesure d’accueillir la lumière du Christ. Qu’ils sont beaux ces évangiles du carême qui, avec pédagogie, avec humour même, nous prennent par la main pour nous amener à faire la lumière en nous, à nous laisser éclairer par le Seigneur qui se révèle aux oubliés de ce monde, tout comme il s’est manifesté à David oublié des siens derrière ses troupeaux.

Nous sommes appelés à vivre en enfants de lumière, c’est-à-dire dans la bonté, dans la justice et la vérité. Appliquons-nous donc à reconnaître ce qui « plaît au Seigneur ». Lui plaisent, selon l’Écriture, « un cœur brisé », c’est-à-dire un cœur compatissant, bon, ouvert aux joies et aux peines des autres ; « un esprit humilié », c’est-à-dire un esprit qui sait reconnaître ses fautes, son péché. Un esprit honnête, droit, qui admet humblement qu’il n’est pas meilleur que les autres, qu’il ne sait pas aimer ou si peu, qu’il est pétri de contradictions, qu’il peine sur le chemin des Béatitudes et qu’il n’a d’autre solution, pour être sauvé, que d’accueillir le salut qui lui est offert en Jésus-Christ. Reconnaître son indigence, ce n’est pas s’apitoyer sur soi-même, autre manière de se prendre pour le nombril du monde, mais entrer dans la joie. Car cette prise de conscience est une grâce, un don que Dieu nous fait. Sa manière à lui de nous mettre de la boue sur les yeux pour nous guérir de nos aveuglements.

L’aveugle de naissance ne demande rien à Jésus, mais la Lumière du monde ne pouvait laisser un de ses frères dans les ténèbres. Jésus prend donc de la boue, la lui applique sur les yeux et lui ordonne d’aller se laver à la piscine de Siloé. « L’aveugle y alla donc, et il se lava ; quand il revint, il voyait ». L’aveugle n’a pas dit un mot. Pas de comment ni de pourquoi. Il fait ce que Jésus lui dit. Il obéit, c’est tout. C’est ce à quoi nous sommes appelés nous aussi. Certes, ce n’est plus directement Jésus qui nous presse d’aller nous laver à la piscine de Siloé, mais c’est la voix du Christ par la médiation de l’Église qui presse les aveugles que nous sommes de recevoir le sacrement de la réconciliation pour notre guérison, pour que nous retrouvions la vue nous aussi.

Le passage de l’obscurité à la Lumière change un homme. Il change aussi la perception que son entourage a de lui. La guérison de l’aveugle provoque la curiosité de ses voisins et par contre-coup le témoignage de l’aveugle guéri. Le dialogue de l’ancien aveugle avec ses voisins nous donne de saisir ce qu’est la conversion, et aussi ce qu’est le sacrement de la réconciliation : ni la conversion ni le sacrement de la réconciliation ne sont un aboutissement. Ils sont plutôt un premier pas, ou un pas supplémentaire, vers le témoignage, vers une meilleure connaissance du Seigneur.

Le chemin continue. Il conduit l’aveugle de naissance devant les autorités religieuses. Son témoignage divise les chefs religieux. Certains y reconnaissent une œuvre de Dieu. D’autres sont carrément hostiles, allant jusqu’au refus de reconnaître la guérison, car accueillir cette vérité, c’était admettre que Jésus est le Prophète attendu. Cela leur était insupportable, car c’était confesser devant tout le peuple qu’ils se sont trompés. Coincés par le témoignage de l’aveugle, les pharisiens cherchent à le discréditer en sollicitant ses parents. Ceux-ci pris par la peur, reconnaissent bien leur enfant, mais se désolidarisent de lui : « interrogez-le, il est assez grand pour s’expliquer ». Ceux qui se convertissent font bien souvent face à la méfiance des responsables religieux, à l’incompréhension, au rejet, et même à l’hostilité de leur propre famille. Cela ne doit pas surprendre car cet état de fait est en quelque sorte le lot commun des disciples du Christ.

Les Pharisiens interrogent à nouveau l’homme qui a été guéri. Il redit son histoire et il leur demande non sans humour s’ils veulent devenir les disciples de Jésus. Les Pharisiens laissent éclater leur colère : « C’est toi qui es son disciple ; nous, c’est de Moïse que nous sommes les disciples. Nous savons que Dieu a parlé à Moïse ; mais celui-là, nous ne savons pas d’où il est. » Cette dernière remarque, « nous ne savons pas d’où il est », n’est pas innocente. Saint Jean montre par là la mauvaise foi des Pharisiens. En effet, un peu plutôt dans son évangile, le témoignage de Jésus avait été rejeté parce qu’il venait de Nazareth. En effet, une maxime de la foi juive dit ceci : « lorsque le Messie viendra, personne ne saura d’où il est ». Or, maintenant, c’est précisément pour cette raison que la guérison opérée par Jésus est rejetée. Contre la mauvaise foi, il n’y a rien à faire, mais l’ancien aveugle de se démonte pas, il témoigne de ce que Jésus est un homme de Dieu. Les Pharisiens l’excluent alors de la synagogue. L’aveugle guéri devient ainsi une icône du Christ, préfigurant en sa chair le sort réservé à Jésus de Nazareth.

Le courage de l’aveugle-né, sa constance dans les persécutions, sa droiture, sa loyauté envers Jésus, sa fermeté dans la vérité ont certainement ému Jésus. Alors qu’il est rejeté par tous, Jésus se révèle à lui comme le Fils de l’Homme, le Seigneur. Nous apprenons de cela que le Seigneur se révèle de manière plus profonde à chacun de nous, non pas dans les moments faciles de nos vies, mais au cœur des épreuves que nous traversons à condition de lui demeurer fidèles dans la foi et dans l’amour.

Puisse le Seigneur, la Lumière du monde, mettre fin à nos ténèbres, nous affermir dans la foi et la charité, et nous soutenir en ce temps d’épidémie que nous traversons. A lui l’action de grâce, l’honneur, la gloire et la louange pour les siècles des siècles. Amen.

Textes du jour :
1 S 16, 1.6-7.10-13a
Ps 22 (23)
Éph 5, 8-14
Jn 9, 1-41
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