Comprenez-nous ce que je viens de faire ?

Homélie pour un jeudi saint.

Jésus nous pose ce soir la question toute simple qu’il posait à ses apôtres après qu’il leur eut lavé les pieds : « Comprenez-vous ce que je viens de faire ? »

Quand Jésus interroge ainsi ses disciples, et chacun de nous aujourd’hui, il ne s’adresse pas d’abord à notre cerveau mais à notre cœur : « Comprenez-vous l’acte d’amour que je viens d’accomplir ? » Il nous invite à entrer dans l’intelligence de cet acte d’amour, dans l’intelligence de sa propre vie, à lui Jésus, qui a aimé les siens qui étaient dans le monde et qui a voulu les aimer jusqu’au bout.

Un acte d’amour est toujours un acte libre, un acte que l’on fait sans aucune contrainte, un acte qui vient du cœur. C’est donc dans la plénitude de la liberté que, tendant le pain, Jésus dit à ses apôtres : « Ceci est mon corps, qui est pour vous. Faites cela en mémoire de moi. » Et puis, prenant la coupe de vin : « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang. Chaque fois que vous en boirez, faites cela en mémoire de moi. »

Jésus, l’homme libre, l’homme Dieu, se donne à son Eglise : « Ceci est mon corps, qui est pour vous. » Le Fils de l’homme n’est pas encore trahi. Il n’est pas encore arrêté. Il n’est pas encore crucifié, mais déjà, sans que personne ne puisse l’y contraindre, Jésus se donne à son Eglise : « ma vie, nul ne la prend, mais c’est moi qui la donne ».

Jésus se donne. À l’heure de sa Passion, et par toute sa vie : du premier vagissement du nouveau-né jusqu’au dernier soupir du condamné. Tel est l’acte d’amour que le Seigneur a voulu vivre pour notre salut. Tel est l’acte d’amour que le Seigneur vit à chaque eucharistie.

Jésus ne se contente pas de se donner comme pourrait le faire un être humain dans la perfection de l’amour. Il veut s’offrir davantage encore. Il se donne en nourriture de manière continuelle, pour que nous trouvions, en son corps livré pour nous, la nourriture dont nous avons besoin pour notre salut, et en son sang versé pour nous, le breuvage capable d’apaiser notre soif de vie, d’amour, de paix et de joie.

Entendez que Jésus, qui confessa devant Pilate être la Vérité, ne dit pas : « ceci représente mon corps qui est pour vous » ou bien « cette coupe représente la nouvelle alliance en mon sang », mais bien « ceci est mon corps qui est pour vous » et encore « cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang. Faites cela en mémoire de moi. » Le pain et le vin eucharistiques sont le corps et le sang du Christ donnés pour que l’Eglise, pour que chacun de nous, nous ne mourrions ni de faim ni de soif sur le chemin ardu du salut.

Veillons donc, durant notre vie terrestre, à nous nourrir correctement et à boire suffisamment, afin que notre marche vers le Christ ne soit pas freinée par cette anorexie spirituelle qui frappe tant de chrétiens. Veillons à vivre l’eucharistie chaque fois que nous le pouvons, ne serait-ce que pour dire à Jésus, que le don de sa vie pour chacun de nous n’a pas été vain, que nous l’en remercions, et que nous lui sommes reconnaissants d’avoir pris soin de notre santé spirituelle en nous donnant son corps et son sang en nourriture. Ne nous comportons pas comme des ingrats, mais laissons-nous toucher au plus profond de nous-mêmes par l’extraordinaire bonté de Jésus notre Sauveur. Que ce temps de confinement qui nous prive de l’eucharistie communautaire soit pour nous l’occasion d’une prise de conscience plus profonde de la grâce dont nous bénéficiions habituellement et que nous négligions si souvent.

« Comprenez-vous ce que je viens de faire ? » L’eucharistie est le plus bel acte de bonté qu’un homme ait jamais posé. Cet acte s’éclaire pour nous dans la mesure où nous-mêmes nous entrons dans cette bonté et nous laissons illuminer par la parole et l’action du Christ notre seul Maître et notre seul Seigneur.

Pour entrer dans l’intelligence de cette bonté, le Seigneur nous a laissé son exemple, le témoignage de toute sa vie, et en particulier celui du soir de la dernière cène : « C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. » Si en ce jeudi soir, nous commémorons le lavement des pieds, ce n’est pas par nostalgie, ni par goût de la mise en scène, mais parce que dans cet abaissement du Fils de l’homme devant ceux-là même qui vont le trahir, le renier, l’abandonner, nous reconnaissons l’immense amour que le Seigneur nous porte en dépit de notre péché, de notre méchanceté et de tous les maux qui nous blessent et que nous nous infligeons les uns aux autres.

C’est à nous, pécheurs, que Jésus lave les pieds. Il a voulu s’abaisser jusqu’à se mettre à notre service, pour que nous découvrions qu’il nous aime vraiment, malgré notre misère. Si nous acceptons de nous laisser aimer par lui, il nous relèvera de notre misère pour nous partager sa gloire dans les cieux. Par ce geste d’humilité, Jésus nous indique que notre bonheur, notre joie, trouvent leur accomplissement dans le service de nos frères, en particulier des plus petits et des plus faibles.

« Comprenez-vous ce que je viens de faire ? » Je viens ouvrir vos cœurs. Je viens vous rappeler que l’amour dont je vous aime est à votre portée, qu’il est votre joie et que cette joie nul ne vous l’enlèvera. Amen.

Textes du jour :
Ex 12, 1-8.11-14
Ps 115 (116 B)
1 Co 11, 23-26
Jn 13, 1-15
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