Les textes de l’Ecriture de ce dimanche montrent combien judaïsme et christianisme sont liés. L’un et l’autre se résument en un seul commandement : tu aimeras. A cet impératif, il est donné une double orientation : tu aimeras le Seigneur ton Dieu ; tu aimeras ton prochain. L’orientation du commandement est double, mais la direction est unique. Aimer Dieu et aimer son prochain ne s’opposent pas. Quand j’aime Dieu, mon amour du prochain grandit ; quand j’aime mon prochain, j’aime véritablement le Seigneur notre Dieu. Saint Jean ne dit-il pas ailleurs dans l’Ecriture : si tu prétends aimer Dieu que tu ne vois pas et que tu n’aimes pas ton prochain que tu vois, tu es un menteur.
Cette réalité a des conséquences pratiques très importantes et libère le croyant d’une illusion qui bien souvent le menace : quand je donne du temps à Dieu, je ne lèse pas mon prochain et quand je donne du temps à mon prochain, je ne lèse pas Dieu. Pourquoi cela ?
D’une part, parce que, le croyant qui se tourne vers Dieu, ne se présente pas au Seigneur le cœur vide : il est accompagné des soucis et des joies de ses frères et sœurs en humanité. D’autre part, parce que le croyant qui se tourne vers son prochain est accompagné de l’Esprit du Seigneur et reconnaît en son prochain, si blessé soit-il, la présence du Dieu auquel il croit.
Dans l’amour, le temps accordé à Dieu n’entre pas en concurrence avec le temps accordé aux hommes ; et inversement, dans l’amour, le temps accordé à l’homme n’entre pas en concurrence avec le temps accordé à Dieu. C’est d’ailleurs ce que laisse entendre l’évangile de ce jour : comment en effet peut-on aimer Dieu de tout son être, de la totalité de sa personne, et en même temps avoir une place encore pour son prochain. En soi, c’est impossible, puisque le tout recouvre la totalité, mais dans l’amour il y a toujours place pour l’autre sans jamais léser personne d’aucune manière.
Pour entrer dans l’intelligence de ce mystère d’amour, pour sonder quelque peu la sagesse de Dieu qui en est la source, il convient de faire nôtre ce précepte de la loi de Moïse : Ecoute, Israël. Pour se comprendre, pour comprendre le Dieu auquel il s’adresse, l’homme est appelé à se mettre à l’écoute de la Parole de Dieu.
Ecouter, la Parole de Dieu, c’est la lire, la méditer, la laisser résonner en soi, la laisser me heurter avec ses questions, ses considérations qui parfois me semblent appartenir à un autre âge.
Ecouter la Parole de Dieu, c’est la faire sienne, c’est l’assimiler comme on assimile un aliment. C’est en faire ma nourriture, ma boisson. C’est l’intérioriser, se doter de son vocabulaire, de ses idées, de ses conseils, pour exprimer ce que je ressens et ce que je vis aujourd’hui. Ce que nous vivons aujourd’hui est certes bien différent de ce qu’ont vécu le Psalmiste, Moïse, Jérémie, Jésus, Paul ou Jean, mais nous sommes habités par des sentiments analogues. Nous connaissons encore les rires et les pleurs, les joies et les peines, des moments d’exultation et des périodes terribles de peur et d’angoisse ; nous affrontons toujours le mal, le péché, la maladie et la mort. Nous sommes habités par la colère, la jalousie, la haine, et aussi par la patience, la bonté et l’amour. L’Ecriture sainte, la Parole de Dieu, nous donne des mots pour décrire des sentiments humains qui parfois nous surprennent et nous déconcertent, et ces mots nous ramènent à Dieu, nous ramènent à l’amour, même si, au départ, ils peuvent, par exemple, traduire des pulsions destructrices et mortifères.
Ecouter la Parole de Dieu, c’est aussi lui obéir, comme un enfant obéissant écoute ses parents. L’obéissance en soi n’est pas progressive. Elle est d’un seul tenant, d’un seul bloc. On obéit ou l’on obéit pas. Il n’y a pas d’entre deux. Lorsque l’Ecriture me dit : Ecoute, elle m’appelle à l’obéissance parfaite. Cette obéissance n’est jamais despotique, jamais dominatrice, jamais infantilisante parce qu’elle part de Dieu qui est amour et conduit à Dieu qui est amour. La sainte Ecriture traduit cela magnifiquement lorsqu’elle résume toute l’obéissance voulue et exigée de Dieu en un seul commandement : tu aimeras, tu aimeras ton Dieu, tu aimeras ton prochain. Ecouter, obéir, et aimer sont des verbes synonymes lorsqu’ils se rapportent à Dieu.
« Écoute, Israël : le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force. Voici le second : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il n’y a pas de commandement plus grand que ceux-là. »
Ce commandement tu le connais bien. Et pourtant, tu n’entends pas toujours bien ce qu’il te dit. La loi d’Israël reprise par la foi chrétienne t’appelles à aimer le Seigneur ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force. Ce n’est pas seulement une partie de ton être qui est appelée à Dieu, mais tout ton être : cent pour cent de ton cœur et cent pour cent de ton âme et cent pour cent de ton esprit et cent pour cent de ta force. Tout ton être est appelé à se tendre tout entier dans l’amour vers le Seigneur ton Dieu. Et cette tension de tout ton être vers le Seigneur ton Dieu, cet élan d’amour vers l’Amour qui est Dieu porte en lui-même l’amour du prochain demandé par le second commandement.
Si nous relisons notre vie à la lumière du commandement de l’amour nous nous rendons compte bien vite que notre cœur, notre âme, notre esprit, notre force, ne se tournent que très partiellement vers Dieu et c’est pourquoi notre charité fraternelle est si peu ardente, si peu inventive, si chétive, si faiblarde. Il convient d’en prendre acte, non pas pour se décourager, mais pour trouver un nouvel élan, pour raviver en nous la flamme de l’amour auquel le Seigneur nous appelle.
Demandons de tout notre cœur, à Jésus notre seul maître et notre Seigneur, de nous brûler de son Esprit d’amour afin qu’il libère notre cœur, notre âme, notre esprit et notre force de tout ce qui nous enchaîne, de tout ce qui nous empêche d’aimer véritablement et notre Dieu et notre prochain. Amen.