Ce qu’il faut aimer vraiment

La page qui suit a été rédigée par Hugues († 1141), un chanoine régulier qui a appartenu à l’abbaye de Saint-Victor de Paris. Esprit de grande envergure intellectuelle, il fut souvent considéré comme un nouveau saint Augustin.

La vie du cœur, c’est l’amour, et, par suite, il est tout à fait impossible qu’un cœur qui désire vivre soit sans amour.

Voyons les conséquences de ce fait. Si l’esprit humain ne peut être sans amour, il faut nécessairement, ou qu’il s’aime soi-même, ou qu’il aime un objet différent de soi. Mais puisqu’en soi il ne trouve pas le bien parfait, s’il s’aimait seul, ce ne serait pas l’amour heureux. Il lui faut donc, s’il désire l’amour heureux, chercher un objet différent de soi à aimer.

Mais s’il se met à aimer en dehors de soi un objet imparfait, il excite, certes, son amour, mais sans cesser d’être misérable. Son amour n’est donc pas heureux, tant qu’il ne se tourne pas, par le désir de l’amour, vers le vrai et souverain bien. Et puisque le vrai et souverain bien, c’est Dieu, seul est heureux l’amour de qui aime Dieu ; et d’autant plus heureux qu’il est plus grand. Le repos de notre cœur est donc de se fixer par le désir dans l’amour de Dieu, sans aspirer à rien au delà, et de jouir, en ce qu’il possède, d’une spéciale et heureuse sécurité. Puisque alors aucune aspiration ne l’entraîne au delà, et qu’aucune crainte ne le fait reculer, il repose en quelque sorte, sans aucun tiraillement, au sein même du bien-être.

Mais comme l’infirmité de l’esprit humain ne peut qu’à peine une fois ou l’autre, pour ne dire jamais, se fixer en cette douceur de la contemplation divine, il faut qu’il se familiarise entre temps, par un certain entraînement, avec cette stabilité à laquelle il n’est pas encore en mesure d’atteindre. Autrement dit : si nous ne pouvons toujours avoir la pensée de Dieu, retirons du moins notre cœur des pensées illicites et vaines, et maintenons-le dans la considération des œuvres de Dieu et de ses merveilles ; ainsi, à force de chercher toujours à être moins instables, un jour enfin, par la grâce de Dieu, nous pourrons devenir vraiment stables.

Sources :

Hugues de Saint-Victor, Six opuscules spirituels, « Sources chrétiennes » 155, Cerf, Paris 1969, p. 95-97.

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