Le Seigneur nous lance l’invitation suivante par l’intermédiaire de son prophète Joël : « Revenez à moi de tout votre cœur. » Cette exhortation s’adressait en premier lieu à Israël. Elle s’adresse à nous aujourd’hui. Essayons de bien la comprendre et de la faire nôtre.
Le Seigneur nous interpelle par ces mots : « revenez à moi. » Si nous sommes appelés à revenir à lui, cela signifie qu’il existe, qu’il a existé, un ou des moments de notre vie où nous étions avec lui, ou nous partagions sa vie d’une manière suffisamment proche, d’une façon telle que le Seigneur n’éprouvait pas notre absence. Cela a sans doute été le cas à l’occasion de notre baptême, mais aussi lors de l’un ou l’autre de ces états de grâce que le croyant peut repérer dans le cours de sa vie. Ce sont là des moments importants, parce qu’ils sont fondateurs, parce qu’ils nous construisent et orientent notre devenir, mais ils ne me semblent pas suffisants, à eux seuls, pour rendre compte de ce « revenez à moi » que nous adresse le Seigneur.
Revenir à Dieu, ce n’est pas revenir à un point statique, à la manière dont un coureur à pieds, dans une course au stade, revient à son point de départ. Revenir à Dieu, ce n’est pas tourner en rond, mais approcher, par une pureté de cœur toujours plus grande, par un amour toujours plus intense, de Celui qui est « doux et humble de cœur. » Revenir à Dieu, c’est laisser advenir en nous l’enfant de Dieu que nous sommes chacun, c’est retrouver le chemin de notre Beauté première, c’est-à-dire, parcourir le chemin qui conduit à Dieu, parcourir le chemin qui est Dieu lui-même comme nous l’enseigne le Christ (« je suis le chemin, la vérité et la vie » (Jn 14, 6)), chemin qui ne connaît pas de fin, parce que Dieu n’a pas de fin, parce que l’amour n’admet pas de fin. « Revenir à Dieu » c’est laisser se déployer en nous — nous, descendants d’Adam, marqués par le péché des origines, relevés et sauvés par la mort et la résurrection du Christ —, le chemin de réconciliation que nous propose l’Évangile. Et ce chemin, nous sommes appelés à l’effectuer non pas en batifolant ni non plus en touriste, mais en y mettant tout notre cœur, toutes nos forces, toute notre énergie : « Revenez à moi de tout votre cœur » dit le Seigneur.
Si telle est la route que nous sommes appelés à parcourir, nous comprenons la passion de Paul quand il s’adresse aux Corinthiens : « Au nom du Christ, nous vous le demandons, laissez-vous réconcilier avec Dieu. » L’Apôtre implore la communauté de Corinthe afin qu’elle ne tienne pas pour peu de chose le mystère de notre salut : « Celui qui n’a pas connu le péché, Dieu l’a pour nous identifié au péché des hommes, afin que, grâce à lui, nous soyons identifiés à la justice de Dieu. » Le Christ a pris sur lui notre péché, afin de nous libérer du péché et de la culpabilité qui lui est liée, pour nous donner la vie, pour nous partager sa vie. Saint Paul, en définitive, appelle la communauté chrétienne à ne pas se montrer ingrate, à témoigner une reconnaissance réelle à Celui qui lui donne vie, en ayant à cœur elle-même de partager pleinement cette vie, et donc de se libérer du péché dont le salaire est la mort, comme dit l’Écriture.
Le temps du Carême nous est offert pour que nous prêtions une attention plus particulière à la vocation à laquelle nous sommes appelés. Cette vocation est très simple. Elle a une structure pascale. Elle est passage de la mort du péché à la plénitude de la vie en empruntant la route que nous propose l’Évangile.
Pour parcourir cette route, il nous faut donc connaître l’Évangile et par conséquent nous donner la peine de le lire ou de l’écouter de manière assidue. Cette route est également balisée par les cadeaux, les dons, que le Seigneur a fait à son Église. Ces cadeaux et ces dons, ce sont les sacrements, et plus particulièrement les sacrements de l’eucharistie, le sacrement de la réconciliation et le sacrement des malades. Ces trois sacrements sont comme des auberges qui parcourent notre itinéraire. Nous pouvons y refaire nos forces, nous reposer, récupérer avant de continuer la route, de faire un pas de plus en direction de la vie. Je ne saurais trop vous encourager à vivre le sacrement de l’eucharistie tous les dimanches, à recevoir le sacrement de la réconciliation, non pas seulement à la veille de Pâques, mais aussi en ce début de Carême, vous y puiserez la force et la vigueur pour effectuer ce retour à Dieu auquel nous sommes tous appelés. Il y a enfin le sacrement des malades qui conduit au Christ tous ceux qui se reconnaissent malades soit dans leur corps, soit dans leur psychisme, soit dans leur âme. Ils y trouveront le réconfort et le secours dont ils ont besoin pour aller de l’avant, pour les soutenir sur la route.
Sur le chemin qui mène de la mort du péché à la vie en Dieu on ne peut faire semblant, on ne peut jouer les fiers-à-bras. Si l’on peut éventuellement abuser son entourage, on se raconte surtout des histoires à soi-même et jamais on ne trompe Dieu. C’est le sens du passage évangélique que nous avons entendu ce soir : quand tu pries, quand tu jeûnes, quand tu partages, fais-le par amour, c’est-à-dire pour Dieu. Tout le reste, tout ce qui n’appartient pas à l’amour, tout cela n’appartient pas au chemin à suivre, ce n’est que détour et égarement, éloignement de Dieu. Toi donc quand tu pries, tu jeûnes, tu partages, sois discret. « Ton Père voit ce que tu fais dans le secret : il te le revaudra. » Amen.