21e dimanche ordinaire C

Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite

22 août 2010

Nous retrouvons Jésus et ses disciples en marche vers Jérusalem, la ville de sa passion, de sa mort et de sa résurrection. En cours de route, Jésus répond aux questions qu’on lui pose. Il enseigne, encourage, initie son auditoire aux réalités du Royaume des cieux. C’est ainsi que quelqu’un l’interroge : « Seigneur, n’y aura-t-il que peu de gens à être sauvés ? »
Jésus accueille la question tout en la réorientant car elle est mal posée. En effet, si sa réponse avait été : « Il n’y a que peu de gens qui seront sauvés » cela risquait de décourager quantité de personnes. À quoi bon autant d’efforts si le salut reste pratiquement inaccessible. À l’inverse, si Jésus avait dit : « Ils sont nombreux ceux qui seront sauvés », cela risquait de faire sombrer les plus faibles dans la négligence, la paresse, au motif qu’on irait tous au paradis.
La question du nombre de personnes promises au salut n’est donc pas la bonne question, d’abord parce qu’elle est démobilisatrice et ensuite parce que la liberté de l’homme est engagée, réellement, pleinement. Il appartient à chacun de s’engager sérieusement sur le chemin de Royaume de Dieu afin d’exaucer le désir du Père qui « veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité » (1 Tim 2, 4). Tous les hommes figurent donc sur la liste des invités, encore faut-il qu’ils veuillent répondre sérieusement à l’invitation du Seigneur.

C’est dans cette perspective, me semble-t-il, qu’il faut comprendre la réponse de Jésus : « Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite ». La question du salut est une affaire sérieuse. C’est même une affaire très sérieuse, car une traduction plus précise de la réponse de Jésus donne ceci : « Luttez pour entrer par la porte étroite ». Il y a donc un combat, une lutte, et au bout la victoire ou la défaite.
Quel est, quels sont les adversaires, que nous sommes appelés chacun à affronter pour « entrer par la porte étroite » ? Il importe, si l’on veut remporter la victoire, de ne pas se tromper d’adversaires. Qui sont nos adversaires ? Ce ne sont certainement pas nos frères et nos soeurs, au sens où il faudrait jouer des coudes pour se frayer un chemin à travers eux pour arriver en bonne place devant la porte. Rappelez-vous cette phrase de l’apôtre Paul à Timothée, phrase déjà citée : « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés ». Nos frères et soeurs ne sont donc pas nos concurrents sur le chemin du Royaume des cieux, mais des compagnons de route qui nous accompagnent sur ce chemin. Qui sont alors nos adversaires ? Nos ennemis ce sont les forces du mal, les partisans et les disciples du Mauvais, de Satan, qui n’a d’autre but que la ruine de l’homme.

Maintenant que nous avons identifié l’Adversaire, il nous faut préciser ce qu’est la « porte étroite ». La « porte étroite », c’est le Christ lui-même qui a dit : « je suis la porte des brebis » (Jn 10, 7), et « si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé » (Jn 10, 9). Entrer dans le Royaume des Cieux par le Christ, c’est y entrer par la Croix, c’est-à-dire par le don de soi, par l’amour. Il n’y a que le petit, l’humble, le pénitent, le pauvre, celui que n’enflent ni l’orgueil ni la vanité, qui puisse franchir cette porte, précisément parce qu’elle est étroite. Il faut, à l’exemple du Christ qui « s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort et à la mort sur une croix » (Ph 2, 8), s’abaisser pour réussir à passer la porte étroite du salut, c’est-à-dire garder les yeux fixés sur Jésus-Christ et agir, non pas pour nous-mêmes, pour nos intérêts, pour la gloire des hommes, mais par amour de l’autre, par amour de l’autre comme image du Christ, par amour du Christ, pour la gloire du Père.
Tel est le combat qu’il nous faut mener, telle est la lutte à laquelle l’Esprit nous pousse. Nous sommes appelés à nous y engager de toutes nos forces si nous ne voulons pas plus tard nous entendre adresser cette parole terrible : « Je ne sais pas d’où vous êtes. Éloignez-vous de moi, vous tous qui faites le mal. » Cette sentence du Maître de maison renvoie au livre de la Genèse, à la première question que Dieu adressa à l’homme après sa désobéissance : « Adam, où es-tu ? » Adam n’est plus en Dieu, il n’est plus en communion avec lui, il est plongé dans la désobéissance, dans le péché.
« Je ne sais pas d’où vous êtes. Éloignez-vous de moi, vous tous qui faites le mal », vous qui n’appartenez pas au Christ, vous qui préférez vous cacher dans les ténèbres plutôt que d’avancer dans la Lumière. Jésus, en s’adressant ainsi à ses auditeurs et à chacun d’entre-nous, nous montre qu’il n’est pas possible de faire semblant d’aimer le Seigneur et d’aimer son prochain. Il est possible, à la rigueur, de tromper les hommes, mais on ne trompe pas Dieu. Le plus souvent, en fait, on ne trompe que soi-même. Baptisés, prêtres, évêques, nous sommes tous appelés à aimer Dieu de toutes nos forces, de toute notre âme et de tout notre cœur et notre prochain comme nous-mêmes. Tel est le véritable passeport qui ouvre la porte du Royaume des cieux.
Si nous ne pratiquons pas la charité, si nous agissons pour nous-mêmes et non pas pour le Seigneur, nous aurons beau dire « Nous avons mangé et bu en ta présence, et tu as enseigné sur nos places », nous aurons beau avoir le nom de Jésus à la bouche, nous n’entrerons pas dans le Royaume des Cieux. C’est tellement vrai, tellement important, tellement peu acquis que Jésus s’adresse ainsi à son auditoire : « Il y aura des pleurs et des grincements de dents quand vous verrez Abraham, Isaac et Jacob et tous les prophètes dans le Royaume de Dieu, et que vous serez jetés dehors. » Il n’a pas dit : « Il y aura des pleurs et des grincements de dents quand certains verront Abraham, Isaac et Jacob et tous les prophètes dans le Royaume de Dieu, et que certains serez jetés dehors. », mais « Il y aura des pleurs et des grincements de dents quand vous verrez Abraham, Isaac et Jacob et tous les prophètes dans le Royaume de Dieu, et que vous serez jetés dehors. » Jésus considère que son auditoire est déjà exclu du Royaume des Cieux, c’est vrai pour les auditeurs directs du Seigneur, c’est vrai pour nous aussi qui aujourd’hui écoutons sa parole. Ces propos peuvent paraître insupportables pour les pécheurs que nous sommes, il nous faut pourtant les accueillir car ils sont Vérité. La parole de Jésus n’a pas été dite pour nous écraser, mais pour écraser ce qu’il y a en nous d’orgueil, de vanité, d’égoïsme, de dureté de cœur, afin que nous devenions « doux et humbles de cœur » comme le Seigneur, et que nous puissions ainsi, dégonflés de tout ce qui nous enfle et nous défigure, passer par la porte étroite, nous reconnaissant réellement pour ce que nous sommes réellement, à savoir, selon les mots de saint Séraphim de Sarov « d’affreux, d’abominables pécheurs » qui, s’ils obtiennent un jour le salut, ne le devront qu’à la miséricorde infinie de Dieu à qui tout est possible.

« Oui, il y a des derniers qui seront premiers, et des premiers qui seront derniers. » Efforçons-nous donc de vivre en vérité avec nous-mêmes et avec les autres. Soyons des chrétiens véritables, des baptisés dignes de ce beau nom. Engageons-nous avec fermeté et décision sur le chemin de la petitesse, de la pauvreté, du service, de l’amour véritable, chemin que le monde ignore parce qu’il ignore le Christ. Et puisqu’en ce jour, l’Église fait aussi mémoire de la très sainte Vierge Marie, reine du ciel et de la terre, confions-nous à elle de tout notre cœur, nous, pauvres pécheurs, afin qu’elle nous soutienne, nous éclaire et nous conduise à son Fils bien-aimé, le Christ, notre Seigneur. Amen.

Textes du jour :
Is 66, 18-21
Ps 116 (117)
He 12, 5-7.11-13
Lc 13, 22-30
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